Mediapart publie une tribune de Jean-Marc Brûlé, maire de Cesson (Seine-et-Marne), secrétaire national adjoint en charge des élections chez Les Verts, et Jean Desessard, sénateur Vert de Paris. Les deux élus reviennent sur la stratégie électorale des Verts en vue des élections régionales de 2010.
Pour eux, une solution: présenter, en toute autonomie, un projet spécifique et un choix de civilisation, déclinés au niveau des régions. Ils l'affirment: cette démarche ne constitue pas un risque pour la gauche.
Lors des Journées d'été des Verts et d'Europe Ecologie à Nîmes, la totalité des régions a affirmé sa volonté de présenter des listes de rassemblement des écologistes aux prochaines élections, dans la continuité de la démarche entamée avec les listes Europe Ecologie (16,28% aux européennes le 7 juin, dont huit régions devant le PS).
Pourtant, nous continuons de subir, avec plus ou moins d'élégance, ici et là, le sempiternel chantage à « l'union au 1er tour » par nos amis socialistes, comme si l'on oubliait complètement que le mode de scrutin des régionales invite justement à exprimer son projet au premier tour, et à rassembler autour d'une majorité au second.
Plus que jamais, face à l'urgence écologique, il est crucial qu'Europe Ecologie et Les Verts poursuivent, après les européennes, la présentation de leur projet spécifique et de leur choix de civilisation, déclinés au niveau des régions.
Loin de constituer un risque pour « la Gauche », ce choix des écologistes est une chance. Notre société souffre d'un manque de perspective politique. Le « peuple de Gauche », et tous les citoyens en général, sont orphelins d'un imaginaire politique porteur d'émancipation, de solidarité et - pourquoi ne pas le dire ? - d'espoir.
Le sens du rassemblement des écologistes est de proposer cette alternative, tout en assumant la nécessité de construire les conditions du rassemblement, au second tour, des forces politiques de progrès.
Pour que cette convergence de second tour soit possible, nous avons besoin de partenaires avec qui établir des relations matures. Plutôt que de réclamer aux électrices et électeurs le vote utile, et à ses partenaires la soumission par la participation à des listes communes de premier tour, le Parti Socialiste doit accepter un code de bonne conduite qui permette la fusion des listes de premier tour dans les meilleures conditions, dans la perspective de gagner contre l'UMP au second tour.
Parlons maintenant du contenu... Jean-Christophe Cambadélis reprochait récemment aux Verts, dans Le Parisien du 26 août, leur « refus d'assumer leur bilan et de reconduire les sortants ». Et bien, c'est vrai ! Tout simplement parce que ce bilan n'est pas vraiment le nôtre.
Pas de caricature : nous ne prétendons pas que le bilan des régions est nul, ni même médiocre, mais simplement qu'il n'est pas à la hauteur des défis de notre temps. Si l'écologie se résume encore à trier quelques déchets et éteindre les lumières, sans changer en profondeur les investissements structurants ni les modes de vie, alors la planète et l'humanité sont condamnées. Les élus Verts, pour leur part, ont tout fait au quotidien pour rendre l'action régionale un peu meilleure, et ils ont à leur crédit quelques victoires et quelques réformes de grande ampleur, mais ils n'ont pas pu, malgré toute leur combativité et toutes leurs compétences, convaincre leurs partenaires de mettre les enjeux écologiques au centre des politiques. Au pire, il s'est agi de parler d'écologie uniquement pour calmer des alliés turbulents - et nous parlons de vécu ! - , cela nous conduisant tout juste à soupirer et se dire qu'avec d'autres, ce bilan aurait été pire.
Prenons deux exemples qui prouvent que le terme d' « éco-région » n'a été utilisé tout au plus que comme un slogan.
Les politiques de développement économique restent façonnées par un logiciel commun à l'UMP, aux chambres de commerce, au MEDEF... et au PS. Attractivité de la région, compétition internationale, import-export... la vitalité économique s'appuie plus sur l'exogène que sur l'endogène, fantasme sur la croissance et néglige les emplois pérennes, fait s'installer tout et n'importe qui dans des zones industrielles à moitié vides, oublie le maillage des territoires et ne s'inscrit pas ou peu dans une logique de coopération des régions. Au mieux, on saupoudre pour faire plaisir à tous en s'intéressant du bout des lèvres à l'économie solidaire et aux éco-activités, pourtant créatrices de nombreux emplois. On est très loin des mutations radicales qu'impose un monde en crises multiples. Mieux qu'un bilan confus, ce qui compte, c'est un projet qui mettra en son centre la reconversion écologique de l'économie. Mais, face à la crise, les dirigeants socialistes se sont ralliés aux plans de relance des filières industrielles sans se préoccuper de la justification des activités, de leurs impacts sur l'environnement et des nécessaires transformations des produits et des processus de production qu'il faut engager dès maintenant.
Dans le domaine des économies d'énergie, si les régions vont dans le bon sens, c'est à la vitesse d'une limace. En 6 ans, une politique d'isolation massive des lycées et des bureaux aurait permis de générer des économies de fonctionnement gigantesques pour l'avenir ! L'exemple des régions aurait alors damné le pion aux tours de passe-passe de Nicolas Sarkozy et de son Grenelle.
Voilà pour le bilan. Six ans de mandat. Six ans qui auraient pu prouver que la gauche, alliée aux écologistes, était dix fois meilleure gestionnaire que l'UMP, dix fois plus solidaire, dix fois plus innovante, dix fois plus visionnaire... Au moment du décès d'Adrien Zeller, et du concert consensuel de louanges qui salue sa gestion de l'Alsace, en quoi la gestion socialiste des régions paraît-elle significativement meilleure que celle de l'UMP aux yeux des électeurs ? Pour nous, elle n'est trop souvent que juste un peu plus sympathique.
N'est-ce qu'un problème de contenu et de projet ? Non, c'est aussi un problème de résignation et d'abandon face aux pressions des lobbies formant le squelette électoral de Nicolas Sarkozy : grands groupes industriels ou des médias, grands agriculteurs productivistes, lobbies de la route, de la chimie, du BTP et de la construction de pavillons chers et mal isolés. Depuis des décennies, la gauche modérée est subjuguée par tout ce qui est « grand » et ne mène plus les combats, ce qui fait des Verts les opposants parmi les plus effrontés aux « puissants de ce monde ». Que l'on ne s'y méprenne pas, nous ne prônons pas une logique de guillotineurs ! S'opposer, ce n'est pas avoir raison seuls, on peut ne pas être d'accord et écouter, et on peut faire du dialogue l'outil pour convaincre et changer.
Face à l'urgence écologiste, face à l'urgence sociale, l'ensemble des forces politiques opposées à la politique autoritaire, antisociale, destructrice de Sarkozy doivent se retrouver sur un projet écologiste, social, démocratique. L'urgence impose que l'on dépasse les vieux clivages, que l'on sorte des pèlerinages de Solutré et de Jarnac, pour envisager de créer des majorités mettant en œuvre des politiques publiques qui répondent à l'exigence de sauvegarde de la planète, qui protègent les plus démunis, qui promeuvent le renouvellement de la démocratie.
Au fond, pour les écologistes, il y a trois combats fondateurs : la mobilisation générale contre le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, la sauvegarde de la démocratie, et la solidarité universelle entre tous ceux qui perdent emploi, maison, proches, terres et eaux, du Bangladesh à New Fabris, de la Nouvelle-Orléans au Sahara. Le nœud de ces combats : la confrontation sans concession avec les puissants qui ont fait de cette planète un gigantesque marché aveugle, drogué au pétrole, totalement déshumanisé.
Contre cela, contre la fatalité, notre projet porte une vision de la civilisation tout entière, ainsi que notre façon de vivre ensemble. La gauche ne peut réduire ses propositions à l'élaboration de plans de relance coûteux en énergie, en ressources, soumis aux lobbies et à la finance internationale, et donc voués à l'échec, car dévastateurs pour notre planète.
Forts de cette révolution culturelle, forts d'un projet radical et innovant, nous pourrons ensuite débattre des alliances aux régionales, aux autres élections, dans les hémicycles, dans les mouvements sociaux, etc.
Plus que jamais, après toutes les Universités d'Eté de tous les partis qui ont émaillé la rentrée, clamons notre conviction : débattons ensemble, avec tous ceux qui le veulent, des politiques que nous rêvons de mettre en place pour changer la vie !
Après, et après cela seulement, nous discuterons des stratégies pour y parvenir.