Le Sénat a infligé dans la nuit de mardi à mercredi un camouflet au gouvernement en rejetant les deux mesures phare de son projet de loi de réforme territoriale, le mode d'élection du conseiller territorial et la répartition des compétences entre communes, départements et région.
Dans le cadre de la discussion générale, Dominique Voynet, sénatrice Verte de Seine Saint-Denis, est venue souligner les vices substantiels qui minent cette révision de l’organisation territoriale française.
Retrouvez le discours prononcé par Dominique Voynet lors de la discussion générale, le 29/06/2010 :
"Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a désormais plus d'un an, le Président de la République recevait les conclusions du rapport du comité Balladur pour la réforme territoriale. Il était « temps de décider », d'apporter « un nouveau souffle pour notre démocratie locale » et de donner « de nouveaux moyens d'actions pour les élus locaux »...
C'est donc drapés de ces objectifs respectables et forts du consensus qui régnait alors sur la nécessité de rendre plus lisible et plus efficace l'organisation territoriale de la France que le Président et le Gouvernement annonçaient un véritable big-bang territorial.
Chose promise, chose due ! Il faut admettre d'emblée que, à l'heure où nous entamons l'examen en deuxième lecture de ce texte, au moment donc où nous nous rapprochons de l'aboutissement même du travail législatif, nous nageons effectivement en plein chaos !
Nous avons été nombreux dans cet hémicycle, et plus vivement encore au-delà de ces murs, à pointer, lors de la première lecture, le fait que votre texte, monsieur le ministre, comportait bien plus d'inconvénients que d'avantages. À cet égard, l'examen du projet de loi par les députés n'a rien amélioré. Au lieu d'alléger le millefeuille institutionnel territorial, il est vrai déjà particulièrement bourratif, ce texte vient au contraire l'épaissir. Il institue des métropoles et des pôles métropolitains, des départements à compétences variables, selon qu'ils accueillent ou non une métropole, des départements dont on amorce d'ailleurs sans le dire le déclin, mais que l'on maintient tout de même en vie au prix d'un affaiblissement des régions, alors même que celles-ci sont appelées à devenir le véritable moteur du dynamisme territorial.
Avec un tel fatras, c'est l'indigestion qui guette les citoyens !
L'ambition initialement affichée de réformer l'organisation territoriale de la France aboutit dès lors à un projet extrêmement décevant. Je n'en retiendrai que l'achèvement de la carte de l'intercommunalité, alors que 93 % des villes françaises étaient déjà engagées dans une coopération intercommunale au 1er janvier 2009, et l'élection des délégués communautaires au suffrage universel direct, tant attendu. Ce sont de bien maigres satisfactions ! Pis, il semble que les visées électoralistes qui ont animé le Gouvernement lors de l'ébauche du futur conseiller territorial, avec ce fameux scrutin à 80 % uninominal à un seul tour, vous mettent aujourd'hui, monsieur le ministre, en situation délicate. Alors que les constitutionnalistes promettaient à cette tentative de hold-up électoral la censure des Sages de la rue Montpensier, le Gouvernement s'est finalement résigné, sous la bronca, à revenir à un mode d'élection plus républicain, avec deux tours de scrutin.
Sauf qu'en introduisant, par un amendement à l'Assemblée nationale, plusieurs volets de votre réforme qui devaient, disait-on jusqu'ici, faire l'objet de textes ultérieurs, comme l'a fort bien montré Jacqueline Gourault, vous avez piétiné l'accord politique passé ici même avec certains de nos collègues, au terme d'un numéro de funambule mémorable qui devait théoriquement vous garantir l'adoption de ce projet.
Vous avez donc essayé d'imposer à la hussarde et de façon, une fois de plus, intéressée ce nouveau schéma électoral : un scrutin uninominal majoritaire à deux tours avec un seuil de qualification plus élevé pour le second tour, afin d'en finir avec des triangulaires décidément bien trop aléatoires et bien trop douloureuses, aussi, en supprimant dans le même temps la dose de proportionnelle promise ici, au Sénat.
Le résultat de cette opération, c'est que la navette parlementaire a tout bonnement explosé en plein vol ! Et, à cette heure, c'est bien de néant qu'il s'agit concernant l'élection et les fonctions de ce futur, probable, conseiller territorial.
Nous nous en sommes déjà expliqués dans cet hémicycle il y a quelques semaines, votre projet de loi, monsieur le ministre, ne se contente pas de participer au mouvement, plus largement observé, de concentration des prérogatives entre les mains de l'exécutif et d'affaiblissement de tout ce qui s'apparente de près ou de loin à un contre-pouvoir, ou de porter atteinte à l'obligation, pourtant constitutionnalisée, de la parité en politique. Comment s'accommoder d'un mode de scrutin qui s'aligne de fait sur celui, discriminant, des conseils généraux et non sur celui des conseils régionaux, qui est bien plus intéressant et bien plus équitable ?
Monsieur le ministre, chacun l'aura deviné, ce projet de loi a été au moins autant guidé par votre soif de reprendre la main sur les exécutifs locaux que par votre souci de servir l'intérêt général. En ce moment critique où il est demandé par ailleurs à nos concitoyens de se serrer la ceinture, cette ardeur à déployer des artifices pour servir avant tout des intérêts partisans ne vous honore pas. Changer les règles du jeu pour parvenir à ce que l'on ne peut obtenir par les urnes n'est pas à la hauteur des enjeux pourtant cruciaux auxquels font face les collectivités.
Souvent confrontées à de lourds handicaps budgétaires, aggravés par l'incertitude que laisse planer votre réforme hasardeuse de la fiscalité locale – nous avons eu la confirmation, lors du débat qui s'est tenu hier dans cet hémicycle, qu'elle ne serait pas entièrement déployée avant la prochaine élection présidentielle –, les collectivités doivent pourtant assumer une part sans cesse plus importante du service rendu aux citoyens. À l'heure où la crise s'approfondit, elles constituent d'ailleurs les premiers amortisseurs de la précarité et les relais incontournables de la solidarité.
Vous annonciez un nouveau souffle pour la démocratie locale. C'est d'une grande bouffée d'oxygène qu'avaient besoin nos territoires, notamment pour assumer leurs engagements sociaux. Peine perdue ! Aux besoins pourtant vitaux de nos territoires, le Gouvernement répond, cette fois encore, par l'esquive et la tactique, comme il l'a fait tout récemment encore pour le Grand Paris.
Monsieur le ministre, ces territoires que certains de vos collègues jugent si arides qu'il serait vain de les arroser gagneraient en réalité à ne pas être considérés uniquement sous l'angle sécuritaire ; je pense ici au département dont je suis l'élue, la Seine-Saint-Denis, arpenté qu'il est, la nuit, comme un champ de bataille quadrillé par un commando, alors même que ses habitants souffrent avant tout du manque cruel de services publics, de la pauvreté des politiques de droit commun et des multiples inégalités territoriales.
Le salut ne viendra pas de votre réforme territoriale, annoncée à grands coups de clairon. Manquant l'occasion d'éclairer véritablement l'architecture institutionnelle locale et de doter les collectivités des leviers nécessaires à leur développement, cette réforme est restée embourbée dans les considérations claniques qui, hélas ! motivent trop souvent le Gouvernement depuis son avènement."