Les villes sont de grosses consommatrices d’énergie et émettrices de CO2. L'architecte Françoise-Hélène Jourda travaille à des villes plus sobres et propres, et sans grandes tours.
Militante précoce de l'environnement, Françoise-Hélène Jourda occupe depuis 1999 la chaire d’architecture durable à la Technische Universität de Vienne.
Elle construit actuellement à Saint-Denis le premier immeuble à énergie passive construit en France.
Elle est interviewée par Volodia Opritchnik, le fondateur de l’ « Usine à GES », la lettre des professionnels du changement climatique.
Militante précoce de l'environnement, Françoise-Hélène Jourda occupe depuis 1999 la chaire d’architecture durable à la Technische Universität de Vienne.
Elle construit actuellement à Saint-Denis le premier immeuble à énergie passive construit en France.
Elle est interviewée par Volodia Opritchnik, le fondateur de l’ « Usine à GES », la lettre des professionnels du changement climatique.
Quelle réponse l’urbanisme et l’architecture peuvent-ils apporter aux conséquences des changements climatiques ?
Je crois qu’il faut appréhender les choses de deux manières différentes, mais complémentaires : nous devons impérativement réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES), mais cet effort ne doit pas se faire sans prendre en compte la rareté des ressources naturelles.
Comme l’acier ou l’aluminium ?
Oui, mais pas seulement. Lorsqu’on parle d’aménagement et de construction, il ne faut jamais oublier les questions d’eau et de sols. Car, si l’on n’y prend garde, on risque, plus tôt qu’on ne le croit, de devoir gérer des pénuries de terrain. Or, sans terrain, pas de construction. Mais j’en reviens à votre question initiale. L’urbanisme, c’est évident, a des réponses à apporter à la lutte contre le renforcement de l’effet de serre. En imaginant des villes plus denses et mieux desservies par les transports en commun, on réduira les besoins en circulation automobile. Ce qui réduira d’autant les émissions directes et indirectes qui lui sont imputables.
Les émissions indirectes ?
Oui, car pour que les voitures circulent en ville, il faut aussi réaliser des infrastructures, des routes, des parkings, des garages, dont la construction consomme des ressources et émet des GES.
Densifier les villes ne semble pas recueillir l’assentiment de tous. De nombreuses associations s’opposent ainsi à la construction de tours à Paris.
Lorsqu’on parle de Paris, il ne faut pas raisonner intra muros. Certains quartiers de la capitale sont densément peuplés.
Dans certains quartiers, on trouve des densités de populations proches de celles que l’on connaît à Shanghai. Je crois qu’il faut raisonner à l’échelle de Paris et de la petite couronne réunis où l’on trouve encore beaucoup d’espaces que l’on peut urbaniser.
Comment voyez-vous la forme de cette ville adaptée aux climats changeants ?
Ces cités devront retrouver la mixité sociale et d’usages. Car, une ville a besoin des talents de toutes les populations qui l’habitent pour fonctionner. Introduire plus de mixité, c’est une façon de contribuer à réduire les besoins en transports. Cette ville devra aussi être flexible. Ses concepteurs devront la penser de sorte que ses immeubles, ses ouvrages puissent évoluer dans le temps. Evoluer, cela signifie que l’on devra pouvoir améliorer lesdits bâtiments, voire changer leur usage. Il ne faut interdire aucun futur à la ville.
Venons-en à l’architecture. Comment seront les bâtiments de demain ?
Nous en aurons fini avec les folies architecturales, avec la transparence à tout prix, les matériaux nobles mais rares. On ne refera plus jamais de bâtiment comme la Bibliothèque de France, par exemple. Compte tenu du fait qu’il faudra respecter des normes thermiques de plus en plus strictes, ces bâtiments seront sans doute plus compacts que ceux que nous connaissons. Mais ils laisseront davantage entrer la lumière naturelle, afin de réduire les besoins en éclairage artificiel et dans certains cas de chauffage. Tout cela appelant un difficile dosage des parties vitrées pour obtenir une bonne performance énergétique.
Finalement, la solution ne passe-t-elle pas par la construction de tours écologiques, comme la tour Hypergreen de Jacques Ferrier ?
La tour verte, c’est de l’image. Je comprends le rêve de mes confrères. Mais cela reste un rêve. D’abord parce que, aujourd’hui, on ne sait pas faire un immeuble de 150 m de haut qui réponde à la future norme thermique 2012. Mauvaise donne : dans quelques années, les immeubles qui ne seront pas énergétiquement sobres (et donc moindres émetteurs de CO2) n’auront pas de permis de construire. Ensuite, ces tours sont très gourmandes en matériaux.
Bien plus que les immeubles horizontaux. Or, il ne faut pas chercher seulement à réduire la facture énergétique. Il faut alléger l’empreinte écologique des immeubles : la consommation d’énergie, l’utilisation des matériaux nécessaires à leur construction, la consommation de ressources durant leur utilisation, entre autres. Troisième mauvais point : ces immeubles seront très coûteux à bâtir, ils n’abriteront que des gens fortunés ou des bureaux. Leur construction réduira à néant le principe de mixité sociale et d’usages. Enfin, pour que l’empreinte carbone de ces tours ne soit pas désastreuse, il faudrait les construire dans des sites bien desservis par les transports publics.
Dans les zones susceptibles d’accueillir ces constructions, comme la Défense à Paris, les réseaux de métros, de tramways ou de bus sont déjà saturés.
Comment établit-on les bilans écologiques ou énergétiques des constructions futures ?
C’est très difficile. D’autant plus qu’il n’existe pas encore de méthodologies d’analyse reconnues par tous les acteurs. C’est la raison pour laquelle, chaque jour qui passe, je me bats pour la mise en oeuvre de grilles d’évaluation écologique des bâtiments.
Propos recueillis par Volodia Opritchnik
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