Le sommet de la FAO qui s'est achevé le 5 juin n'a pas su trancher entre biocarburants et alimentation : un échec face aux émeutes de la faim qui ont secoué plusieurs pays. Si les OGM demeurent pour certains une des voies possibles, il reste à savoir dans quelles conditions. Les ministres européens de l’Environnement viennent d'ailleurs de se prononcer en faveur d’une réforme des procédures d'évaluation et d’autorisation des OGM.
Du 3 au 5 juin 2008, l‘Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) tenait conférence à Rome avec un objectif essentiel : proposer des solutions à la crise alimentaire qui sévit dans plusieurs pays, notamment en Afrique. Finalement, la conférence n'aura pris aucun engagement concret. Elle appelle seulement à une augmentation de la production alimentaire et à une levée des restrictions commerciales sur les produits agricoles afin de réduire de moitié le nombre de personnes qui ont faim d'ici à 2015, un but qui était déjà inscrit dans les Objectifs du millénaire. Aider le petit paysan et libéraliser le commerce; les conclusions du sommet de la FAO ne répondent pas au quotidien de plusieurs millions d'êtres humains et font douter de l'utilité de l'institution onusienne. Jean Ziegler, ancien rapporteur de l'ONU sur le droit à l'alimentation et auteur du livre "L'Empire de la honte", y voit un échec total.
Cette situation remet au goût du jour l'argument favorable aux OGM, développé par les firmes productrices de semences génétiquement modifiées : à long terme, la population croissant, ses besoins vont augmenter alors que la surface agricole disponible restera la même, voire diminuera; les OGM sont donc la solution incontournable puisqu'ils permettent de produire plus que des semences non modifiées. Ce raisonnement s'applique aujourd'hui aux pays en développement au motif que la famine s'explique par des problèmes de production et de rendement. Les OGM permettront aussi la culture sur des sols jusqu'alors incultivables à cause de la sécheresse, l'appauvrissement du sol ou la contamination par le sel, par exemple. Pour Pierre Feuillet *, directeur de recherche émérite à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), considère ainsi que "les plantes génétiquement modifiées sont l'une des réponses à la recherche de nouvelles solutions à la faim dans le monde. Ce n'est sûrement pas la solution miracle, d'ailleurs plus aucun expert ne dit ça, mais il serait dommage de ne pas l'utiliser."
Mais pour les opposants aux OGM, la véritable cause de la faim dans le monde réside dans la mauvaise distribution des richesses et des ressources alimentaires. Dans le film de d'Erwin Wagenhofer "We feed the world" sorti en avril 2007, Jean Ziegler expliquait qu'il n'y avait pas de pénurie alimentaire et que la cause de la faim résidait dans une répartition aberrante des richesses, résultat de la politique de libéralisation des échanges de l’OMC et de la politique de dumping agricole de l’Union européenne. Le problème des pays en développement vient avant tout du fait que les terres cultivables sont utilisées en majorité pour de grandes monocultures destinées à l'exportation. Dans une tribune publiée par Le Monde en février dernier, Marc Dufumier, Pierre-Henri Gouyon et Yvon Le Maho, trois spécialistes des questions agricoles notaient que "L'extension de la monoculture du soja transgénique dans les savanes du Brésil jusqu'aux confins de la forêt amazonienne se traduit déjà par une dégradation des sols et des pertes considérables de biodiversité. L'épandage des herbicides associés à ces OGM constitue une sérieuse menace pour les cultures vivrières environnantes."
Par ailleurs, ils ajoutaient : "Si, dans l'avenir, on produisait des génotypes capables de résister à la sécheresse ou à la salinité des sols, il est exact que ces gènes pourraient être utiles, mais à la condition qu'ils soient fournis aux paysans et intégrés dans leurs variétés en conservant leur diversité." En effet outre les dangers possibles pour la biodiversité, nombre de commentateurs demeurent perplexes sur le fait que la lutte contre la faim dans le monde passe par le paiement de brevets, y compris par les paysans les plus pauvres. Pour Pierre Feuillet : "Comme c'est le cas pour des semences hybrides obtenues par croisement – notamment certains maïs- il faut racheter les semences chaque année mais les rendements sont plus élevés. Il y a un équilibre gagnant-gagnant que l'on peut retrouver dans les OGM. Mais ce qui vaut pour le maïs ne vaut pas pour le blé, chaque cas est à traiter particulièrement." Il rappelle que si en effet les plantes OGM résistantes aux herbicides n'ont pas fait diminuer l'utilisation de ces derniers, il en va différemment pour celles résistantes aux insecticides.
Pierre-Henri Gouyon, écologue au Museum d'Histoire naturelle, considère que si l'on a quelques connaissances de l'ADN à la protéine, il reste de nombreux niveaux de complexité à comprendre de la cellule à l'organisme et de l'organisme à l'écosystème. Ce qui laisse penser que les risques potentiels pour l'environnement et la santé humaine ne seraient toujours pas à écarter. La preuve vient d'en être apportée par les ministres européens de l’Environnement. Réunis au Luxembourg le 5 juin, ils se sont prononcés en faveur d’une réforme de la procédure d’évaluation et d’autorisation des OGM au niveau européen. Ils ont reconnu que la transparence et l’efficacité devaient être améliorées et ont souligné les lacunes de la méthode actuelle d’évaluation des risques.
*Pierre Feuillet est l'auteur de "La nourriture des Français" aux éditions Quae.