Une des rares icones de la presse libre et indépendante française est à l'agonie: la société éditrice du site bakchich.info et de sa version papier Bakchich Hebdo sera devant le tribunal de commerce de Paris lundi 09 novembre prochain pour obtenir un sursis. Un des rares médias d'investigation (digne de ce nom) est donc menacé de disparition.
Une nouvelle paradoxale à l'heure où des hauts responsables politiques sont pourtant enfin entendus, voire condamnés, par la justice, en dépit des entraves diverses que le travail judiciaire a subi pour les protéger.
Mais ne nous y trompons pas.
Ces mises en cause seront sans doute les dernières (avant une alternance...). Après la disparition du juge d'instruction voulue par notre hyper-président, le parquet -relié hiérarchiquement au pouvoir politique- aura les mains libres pour décider de l'"opportunité" des poursuites, sans débat contradictoire.
Il pourra donc étouffer dans l'oeuf toute affaire jugée "inopportune". Cela alors même que des éléments d'une infraction prévus par la loi sont apparemment établis. Exemple au hasard, M. Untel était payé de longues années par le bon contribuable d'une bonne ville n'a jamais mis les pieds sur son lieu de travail, ou plus simplement le constat d'un trou dans la caisse, ou encore des factures surdimentionnées par rapport à leur objet... et j'en passe et des meilleures, la liste étant aussi longue que le Code pénal.
Ces jours-ci, le parquet avait bien (fini par...) décidé(r) de ne pas renvoyer M. Chirac devant le Tribunal correctionnel sur l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Une des 13 mises en cause dont il aurait dû répondre, chapeau l'artiste ! C'est surtout A. Juppé qui applaudit le plus... La poursuite n'aurait pas été possible s'il n'y avait donc eu une juge d'instruction, Xavière Siméoni, et sa courageuse obstination.
D'autres pays appliquent de leur côté, tout à fait logiquement, le principe de la "légalité des poursuites", celles-ci étant automatiques dès lors que les éléments matériels d'une infraction définie par la loi sont établis.
Un principe d'une logique implacable, sinon à quoi sert, au fond, une loi qui est soi-disant "générale et impersonnelle" définissant des comportements répréhensibles si son application devait subir l'aléa du sens de l'opportunité d'un parquet aux ordres du gouvernement ?
Notre pays retrouvera alors enfin l'image bien lisse d'un pays sans histoires, sans fâcheux procès mettant en cause des responsables publics (et autres notables en général ?)... ni même de médias insolents pour mener des investigations indépendantes.
Non mais, et puis quoi encore ? Si on ne peut plus se goinfrer et polluer et s'amuser avec le petit personnel bien tranquillement !
La "grande presse", nationale et locale, arrosée d'encarts publicitaires de grands groupes industriels et financiers travaillant souvent directement avec l'Etat, voire même de la générosité de l'Etat directement, commanditaire lui-même de plantureux marchés publicitaires, cette presse ainsi dotée pourra alors continuer, sans concurrence des autres sources d'informations, économiquement asphyxiées quant à elles, à célébrer à loisir notre si chère et "douce France" où il ferait si bon vivre (se goinfrer, donc, etc...) et où l'on pourra même affirmer en toute bonne foi (et en toute méconnaissance de cause) sa fierté d'être Français.
Et voila la boucle bouclée.
Et l'historien futur n'aura d'autres sources que celles-là pour célébrer à son tour pompeusement, en écho aux sources officielles, avec une émotion à peine contenue, une époque glorieuse sous le règne d'un homme d'Etat exceptionnel, à la manière dont on nous avait enseigné l'épopée napoléonienne... dont on a si piteusement renoncé à célébrer le bicentenaire ...
http://www.bakchich.info/
Sur les trafics de l'Histoire, les conférences de l'inégalable Henri Guillemin (diffusées par la télévision Suisse Romande), à savourer sans modération, sur Napoleon notamment:
http://archives.tsr.ch/dossier-napoleon